24 novembre 2014

Antonio Sanchez en trios…

L’actualité du batteur Antonio Sanchez est fournie : en février il est sur Kin (ßà) du Pat Mehteny Unit Group, en mai il figure sur Stories d’Enrico Pieranunzi et, en octobre, il sort Three Times Three, un double-album avec trois trios aux instrumentations variées : Brad Mehldau et Matt Brewer, John Scofield et Christian McBride, Joe Lovano et John Patitucci.

Three Times Three et Stories sont publiés chez CAMJazz. Le label romain (et new-yorkais) propose un catalogue particulièrement relevé avec des artistes aussi différents que Pieranunzi, John Taylor, Fred Hersh, Martial Solal… et Sanchez. Coffret élégant aux coins arrondis, ouverture par pression, références de l’album sur les quatre bords, étiquettes autocollantes pour les catalogues, livret d’une quinzaine de pages plastifiées… CAM Jazz soigne ses disques !

 Three Times Three

Né à Mexico, Sanchez commence la batterie dès son plus jeune âge et apprend le piano classique au Conservatorio Nacional de Música de Mexico. Au début des années quatre-vingts dix, diplôme en poche, il part étudier le jazz au Berklee College of Music. Il poursuit ensuite ses études au New England Conservatory avec Danilo Perez, qui le recommande à Paquito D’Rivera pour le Dizzy Gillespie's United Nations Orchestra. Sanchez tourne ensuite avec Perez et, en 1999, il rejoint le Pat Metheny Group pour une collaboration au long cours. Installé à New York depuis le début des années deux mille, Sanchez accompagne aussi bien Avishai Cohen et Michael Brecker que Gary BurtonChick Corea, Metheny et Pieranunzi !

En 2007, Sanchez sort son premier disque en leader, Migration, chez CAM Jazz. Ont suivi Live In New York (2010), New Life (2013) et… Three Times ThreeCe dernier est un double-album sous forme de triptyque constitué de trois trios qui jouent chacun trois morceaux.

Dans les trois trios de Three Times Three, l’instrumentation repose sur une paire rythmique contrebasse – batterie, plus un soliste : le piano de Mehldau dans le premier disque, la guitare de Metheny et le saxophone ténor de Lovano dans le deuxième. Côté contrebasse, Sanchez fait appel à trois musiciens différents. Si le batteur est souvent associé à Colley (présent sur les deux premiers opus du batteur), c’est Brewer (il était déjà là sur New Life) qui a été choisi pour le premier trio. Viennent ensuite McBride et Patitucci.

Chaque trio joue deux compositions de Sanchez et un standard : « Nardis » (rebaptisé « Nar-this » pour l’occasion), écrit par Miles Davis en 1958 pour le disque de Cannonball AdderleyPortrait of Cannonball, « Fall », composé par Wayne Shorter en 1967 pour Nefertiti, l’album de Davis, et « I Mean You », conçu par Thelonious Monk et Coleman Hawkins en 1947.

Le premier trio est évidemment marqué par la patte de Mehldau : l’approche est mélodieuse, avec des dissonances glissées ici et là (« Big Dream »), des ostinatos placés à bon escient (« Constellations ») et, toujours, ce jeu pop-bop entraînant (« Nar-this »), si caractéristique du pianiste. Brewer s’appuie sur une sonorité ample et grave pour soutenir ses compères, en alternant une ligne aérienne et un rif sourd (« Constellations ») ou en jouant des motifs emphatiques (« Big Dream »). Le deuxième trio n’est pas nouveau puisqu’il a déjà enregistré Day Trip, en 2008.  Comme à son habitude, Metheny se montre versatile : assez minimaliste dans « Fall », funky et aérien and « Nooks And Crannies… » et plutôt bop dans « Rooney And Vinsky ». McBride met sa sonorité profonde au service d’une walking vive et entraînante (« Rooney And Vinsky.. »), d’ostinatos sourds (« Fall ») ou de rif funky dansants (« Nooks And crannies »). Le troisième trio reste dans une atmosphère qui mêle bop et dissonances. Vigoureux et sagace, Lovano met du free (« Leviathan ») et des touches bluesy dans son bop (« I Mean You »), joue avec les nuances sonores (fredonnements dans « Firenze »). Patitucci se montre particulièrement mélodieux (« Léviathan », « I Mean You ») et alerte (« Firenze »), mais sait également lancer une walking imparable (« I Mean You »). Quelle que soit la configuration du trio, le drumming de Sanchez est un foisonnement puissant qui maintient le trio sous pression ! Comme dans Stories, Sanchez nage dans la polyrythmie (« I Mean You »). Le jeu est dense (« Fall »), parsemé de roulements furieux (« Nar-this ») et de splashes retentissants (« Consellations »). A des chabadas dynamiques (« Rooney And Vinsky ») succèdent des motifs funky redoutables (« Nooks And Crannies »), entrecoupés de chorus éclatants (« Leviathan »), mais aussi des des passages sobres et élégants (« Firenze »).

Avec une écriture et un jeu d’une personnalité indiscutable, Sanchez réussit à marquer Three Times Three de son empreinte, et même si les trois trios sont différents, la musique est homogène du début à la fin.

Le disque

Three Times Three
Antonio Sanchez
John Scofield (g), Joe Lovano (ts), Brad Mehldau (p), Matt Brewer (b), Christian McBride (b),
John Patitucci (b) et Antonio Sanchez (d).
CAM Jazz - CAMJ 7879-5
Sortie en septembre 2014

Liste des morceaux

Disque 1
01. « Nar-this », Davis (12:33).
02. « Constellations » (13:54).
03. « Big Dream » (8:12).

Disque 2
01. « Fall », Shorter (8:33).
02. « Nooks And Crannies... » (8:45).
03. « Rooney And Vinsky... » (6:21).
04. « Leviathan » (8:59).
05. « Firenze » (8:30).
06. « I Mean You », Monk (7:52).


Tous les morceaux sont signés Sanchez sauf indication contraire.


Stories

Chez CAM Jazz depuis près de vingt-cinq ans, Pieranunzi a publié plus de soixante-dix disques sous son nom. Stories a été enregistré avec le même trio que celui de Permutation, sorti en 2012 : Scott Colley à la contrebasse et Sanchez à la batterie.

Diplômé de la célèbre Accademia Nazionale Di Santa Cecilia de Rome, Pieranunzi a un double cursus classique et jazz, dont il écume les scènes depuis le début des années soixante-dix. Il a joué avec le gotha du jazz, de Chet Baker à Paul Motian, en passant par Lee Konitz, Johnny Griffin, Art Farmer, Jim Hall

Stories s’articule autour de sept thèmes de Pieranunzi et « The Slow Gene », signé Colley. Comme toujours chez Pieranunzi, la musique est claire, nette et précise. D’une virtuosité et d’une efficacité rythmique indéniables, le pianiste reste constamment mélodieux, entre un lyrisme (« Where Stories Are... »), parfois teinté de romantisme (« Flowering Stones… »), et un dynamisme dans l’esprit bop (« Detras Mas Alla »). Ici, les accords sont puissants (« No Improper Use »), la main gauche énergique (« Blue Waltz »), les notes crépitent (« Which Way Is Up »)… là, le touché est délicat (« Where Stories Ares… »), le phrasé se fait solennel (« The Real Is You ») et le propos devient subtil (« The Slow Gene »). Souplesse et fluidité caractérisent le jeu de Colley. Le contrebassiste alterne des lignes qui galopent (« No Improper Use »), des motifs légers (« Blue Waltz ») ou, au contraire, un chant grave et profond (« The Real Is You »). Dans un registre plutôt medium-aigu, le chorus de « The Slow Gene » est court, mais d’une musicalité dense. Quant à Sanchez, il maitrise la polyrythmie avec une aisance confondante (« Detras Mas Alla »)… ses racines mexicaines n’y sont sans doute pas pour rien ! Son drumming imposant (« No Improper Use »), tendu (« Blue Waltz ») et volontiers touffu (« Which Way Up ») ne l’empêche pas de se montrer adroitement discret quand il le faut (« Flowering Stones… »).

Dans le prolongement de Permutation, Pieranunzi, Colley et Sanchez dialoguent toujours avec autant d’intensité et Stories s’inscrit dans une lignée neo-bop, que le trio fait fructifier avec talent et vitalité.

Le disque

Stories
Enrico Pieranunzi
Enrico Pieranunzi (p), Scott Colley (b) et Antonio Sanchez (d)
CAM Jazz – CAMJ 7875-5
Sortie en mai 2014

Liste des morceaux

01. « No Improper Use » (4:10).
02. « Detras Mas Alla » (8:06).
03. « Blue Waltz » (7:33).
04. « The Slow Gene », Colley (5:16).
05. « Which Way Is Up » (3:55).
06. « Where Stories Are... » (8:11).
07. « Flowering Stones... » (7:24).
08. « The Real You » (5:16).

Tous les morceaux sont signés Pieranunzi sauf indication contraire.